Les défenseurs de l’Agrocité à Colombes (Hauts-de-Seine) sont en colère. Ils sont sommés par la justice de quitter les lieux alors que cette ferme urbaine est installée
depuis cinq ans sur une ancienne friche. La nouvelle municipalité (Les Républicains) veut en faire un parking provisoire le temps des travaux de rénovation d’un ensemble d’immeubles mitoyens.
Samedi 6 février, dans une ambiance malgré tout chaleureuse, plus de 300 personnes, du quartier et au-delà, ont manifesté leur attachement à cette oasis de verdure qui, tranchant avec la couleur béton des tours environnantes, égaie le quartier populaire des Fossés Jean-Bouviers, au nord-est de la ville.
« On croit beaucoup en ce projet. C’est un lieu de ressources pour tous, qui crée du lien social. On a besoin aujourd’hui d’îlots de verdure, de lieux où l’on peut partager, échanger, mêler les expériences », soutient Annie qui, bien que n’habitant pas dans le quartier, vient fréquemment prendre des conseils, entretenant elle-même un jardin.
Jardins partagés, poulailler, ruches
Occupant une surface de 3 000 m2, l’Agrocité c’est déjà un bâtiment en bois en partie recyclé, modulaire, monté sur pilotis, alimenté par des panneaux solaires et un chauffage au compost. Ce lieu sert à la fois de séchoir à grains, de cuisine collective, de boutique proposant à la vente les fruits et légumes produits sur la place, d’espace de distribution d’une Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) du coin, de salle d’atelier, d’exposition, de débats. Et au-delà de cet espace d’accueil, on découvre une aire de maraîchage, une quarantaine de parcelles de jardins partagés, un poulailler, des ruches, une serre, ainsi qu’une zone de compost (dont quelques bacs de lombriculture) qui sert de terrain d’application à une école de formation au compostage.
L’Agrocité s’inscrit dans un projet d’écologie urbaine participative baptisé R-Urban – pour résilience urbaine – qui compte également, à quelques centaines de mètres, un endroit, baptisé Recylab, dédié à la fabrication d’objet divers, artisanaux, faits à la main, à partir de matériaux de récupération, là encore dans une démarche collaborative entre professionnels et amateurs, experts et débutants.
Quelque 400 personnes fréquentent aujourd’hui régulièrement les lieux. Ils viennent jardiner, faire du compost, partager un repas, recycler, échanger un savoir-faire ou tout simplement acheter des légumes frais bios. « Nous créons des opportunités pour que les gens puissent évoluer dans leurs modes de vie en douceur », explique Constantin Petcou, de l’Atelier d’architecture autogérée, qui a lancé le projet. Et celui-ci de préciser : « Toutes les activités proposées sont développées et animées par les riverains et usagers eux-mêmes, selon leurs envies, leurs savoir-faire. »
Modèle de nouvelle gestion urbaine
« L’intérêt de cette démarche est d’impliquer les habitants dans la transformation des comportements. Il y a en effet une vraie appropriation des gens localement, avec en parallèle un désengagement des initiateurs. Et R-Urban favorise une articulation intéressante entre les différentes activités pour former un écosystème : le pôle de recyclage récupère les déchets et fabrique des objets, produit de la matière organique, utile au pôle d’agriculture urbaine », souligne Gregory Fauveau, responsable du pôle Economie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui soutient l’initiative et l’a présentée lors de la COP21. R-Urban est aussi un projet européen s’inscrivant dans le programme LIFE +, consacré aux projets environnementaux.
L’expérience, qui a déjà retenu le soutien de plus 7 500 pétitionnaires, suscite l’intérêt de nombre de communes tant en France que dans le monde. Des délégations des mairies voisines, mais aussi de Montréal, de Séoul, de Kyoto sont venues étudier ce modèle de nouvelle gestion urbaine et de transformation de la ville. Le projet a été exposé à la Biennale d’architecture de Venise, au Pavillon des Nations unies à Genève, au MoMA à New York, à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), à la COP21. Il a également été sélectionné par l’Etat pour être un des exemples présentés par la France dans le cadre de la conférence des Nations unies sur le développement urbain durable, Habitat 3.
« Aberration absolue »
Mais rien n’y fait. Le 30 décembre 2015, le tribunal administratif a donné raison à la ville de Colombes et demandé à l’Agrocité de disparaître d’ici à mars 2016.
La municipalité assume et campe sur son choix. « La convention qui liait le projet à cette parcelle est terminée et nous avons décidé de ne pas la renouveler, explique Jérôme Besnard, chef de cabinet de la maire (LR) Nicole Goueta. Nous voulons sans tarder engager le projet de renouvellement urbain (ANRU) sur lequel beaucoup de retard a été pris. Or celui-ci oblige à fermer un parking souterrain et donc trouver un lieu pour le remplacer. »
L’équipe de R-Urban a bien proposé à la mairie d’autres terrains potentiellement intéressants pour relocaliser l’Agrocité, le Recylab et le parking provisoire. Mais la ville n’a jamais donné suite. « Le projet a été conçu pour être relocalisable, souligne pourtant Constantin Petcou. Moyennant un minimum de temps, il est possible de déménager les équipements ailleurs dans la ville. »
« C’est une aberration absolue ! L’Europe a financé ce projet – et c’était très important de le faire – à hauteur de 600 000 euros. L’initiative se développe et tourne aujourd’hui. Et pour des raisons de basse politique, de règlements de comptes politiciens, on veut la détruire », ne décolère pas le député européen Vert Pascal Durand, venu samedi soutenir l’initiative comme Alexis Bachelay, député PS de la circonscription et d’autres élus de communes avoisinantes, et même l’architecte Frédéric Bonnet, Grand prix d’architecture.
« Problème de disponibilité foncière »
« Nous ne remettons pas en cause le travail de l’association, mais il a fallu trancher une situation inextricable : c’est le seul terrain disponible. Colombes est une ville dense où il y a un vrai problème de disponibilité foncière », défend Jérôme Besnard. Et d’affirmer : « Depuis que nous sommes là, nous n’avons pas effacé l’écologie urbaine. Nous avons un Centre nature qui offre une bonne partie des activités [proposées par Agrocité]. »
Lyne, qui n’habite plus le quartier même mais y a longtemps vécu, ne comprend vraiment pas : « L’Agrocité apporte beaucoup à ce quartier anonyme. Les gens sont contents de venir jardiner ici, de partager un moment. Dès qu’on franchit cette porte, on se dit bonjour. On se donne des tuyaux, on se parle, c’est un formidable lieu d’échange », dit-elle, continuant à y venir presque tous les jours.
Un recours a été déposé et jugé recevable par le Conseil d’Etat. La bataille pour ce carré de verdure est loin d’être terminée. D’autant que le projet de rénovation urbaine de la municipalité, porté par l’ANRU, a été pensé avec une « promenade plantée », le long du mur couvrant l’A86 qui borde la partie de quartier appelée être réhabilitée. « S’étendant sur 400 mètres, cette installation comportera des vergers, des jardins partagés, ainsi qu’une placette surélevée qui pourra accueillir concerts et moments festifs », expliquait le journal de la Ville de février 2014. En somme, un espace à même d’accueillir l’Agrocité.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/02/07/a-colombes-la-lutte-d-une-ferme-urbaine-contre-un-parking_4860995_3244.html