Maison Cocteau à Milly-la-forêt

C’est la maison qui m’attendait. J’en habite le refuge, loin des sonnettes du Palais-Royal. Elle me donne l’exemple de l’absurde entêtement magnifique des végétaux. J’y retrouve les souvenirs de campagnes anciennes où je rêvais de Paris comme je rêvais plus tard, à Paris, de prendre la fuite. L’eau des douves et le soleil peignent sur les parois de ma chambre leurs faux marbres mobiles. Le printemps jubile partout.

Jean Cocteau, La difficulté d’être, 1947

Fukuyama et l’expérience Zazen

Rien ne vaut pour se ressourcer qu’une bonne séance de méditation. Le temple Shinshô-ji est l’endroit idéal pour le faire.

Ces dernières années, de plus en plus de personnes ont découvert que la pleine conscience pouvait les aider de toutes sortes de façons, pour se concentrer au travail ou à l’école comme pour se remettre d’un traumatisme. Les autorités médicales le reconnaissent comme un traitement efficace contre le stress, la dépression, l’anxiété et même la douleur.
Il n’est donc pas surprenant qu’un nombre croissant de visiteurs au Japon cherchent à découvrir les racines zen de la pleine conscience. Pour répondre à cette demande, certains temples bouddhistes ouvrent leurs portes au public, offrant aux visiteurs un aperçu de leur monde autrefois secret.
Dans la préfecture de Fukui, Eihei-ji, par exemple, où Steve Jobs a trouvé son inspiration, a développé son site et construit un hôtel de luxe à proximité pour attirer les touristes haut de gamme. Le Shunkô-in à Kyôto, où William Shatner (le Capitaine Kirk de Star Trek) une fois revenu sur terre célèbre des cérémonies de mariage gay, propose également la pratique de la méditation. En allant un peu plus loin, le temple Shinshô-ji, au milieu des collines couvertes de forêts à l’extérieur de Fukuyama dans la préfecture de Hiroshima, a changé de nom pour devenir le Musée et le jardin zen de Shinshô-ji. Son objectif était de rendre l’univers du Zen “pleinement accessible au public pour la première fois, à travers les cinq sens.” Lire l’article

Nippon.com : Le nouveau musée Hokusai de Tokyo « The Sumida Hokusai Museum »

Le nouveau musée Hokusai de Tokyo « The Sumida Hokusai Museum »

Brigitte Koyama-Richard 

Un nouveau musée, le Sumida Hokusai Museum, consacré à Katsushika Hokusai, l’un des plus célèbres artistes de l’époque d’Edo, vient d’ouvrir ses portes. Il est situé dans le quartier de Sumida, près de la station du JR et du métro Ryôgoku, à quelques minutes à pied du Stade national de sumô (Kokugikan) et du Musée Edo-Tokyo.

 Katsushika Hokusai (*1)(1760-1849) demeure l’artiste japonais le plus connu au monde. Si son nom est toujours associé à l’estampe de La grande vague au large de Kanagawa, ou encore, au Mont Fuji sous l’orage(*2), deux estampes de la série des Trente-six vues du mont Fuji, le génie de cet artiste est loin de se résumer à ces deux estampes. Un musée lui est désormais consacré au cœur de la capitale.

Katsushika Hokusai, Mont Fuji sous l’orage – Trente-six vues du mont Fuji (Collection du Sumida Hokusai Museum)

Le Sumida Hokusai Museum(*3) ouvre ses portes, le 22 novembre 2016, près de la station du JR et du métro Ryôgoku, à quelques minutes à pied du Stade national de sumô (Kokugikan) et du Musée Edo-Tokyo. Ce nouveau musée de trois étages donnant sur un petit jardin public a été construit dans cet endroit populaire et calme de la capitale, près du lieu où naquit le célèbre artiste.

L’architecture du Sumida Hokusai Museum

Cet ambitieux projet a été réalisé par Sejima Kazuyo, une architecte de renommée mondiale. Ses multiples réalisations, comme celle du Musée du XXIe siècle de la ville de Kanazawa (2004), The New Museum of Contemporary Art de New York (2007) ou le Louvre Lens (2012) (conçus avec son associé Nishizawa Ryûe), etc., ont toutes été louées pour leur originalité et leur forme épurée.

Nul doute qu’il en sera de même pour le Musée Hokusai, composé de plusieurs blocs aux formes géométriques recouverts de panneaux d’aluminium qui brillent au soleil comme un miroir.

Le Sumida Hokusai Museum conçu par Sejima Kazuyo. (Photo : Sumida Hokusai Museum)

L’intérieur du bâtiment surprend par sa luminosité. L’accueil des visiteurs se fait par le rez-de-chaussée et jouxte la salle de conférence entièrement vitrée, la bibliothèque et la boutique du musée. Le sous-sol est réservé aux salles de réunions, de conservation, etc.

La visite commence par le 3e étage et par l’exposition permanente.

L’artiste et sa fille, en train de peindre, attendent le visiteur dans leur humble demeure. Deux mannequins de cire, animés et ressemblant aux portraits connus de Hokusai et de sa fille Oei(*4) ne manquent pas d’attirer l’attention des visiteurs.

Les mannequins de cire de Hokusai et de sa fille Oei. (Sumida Hokusai Museum / photo : nippon.com)

La salle d’exposition permanente. (Photo : Sumida Hokusai Museum)

Pédagogique et ludique, cette salle aux murs sombres dont le sol est parcouru de filets de lumière, évoquant le cours de la Sumida, retrace, par des reproductions, les peintures et estampes du maître ainsi que les principaux épisodes de sa vie.

De nombreux écrans tactiles nous renseignent sur les œuvres. Des jeux interactifs, en particulier sur la célèbre Manga que Hokusai avait créée à l’intention de ses disciples et de tous ceux qui souhaitent apprendre à dessiner, permettent de comprendre la démarche de cet artiste de génie.

Un écran tactile qui permet de visionner tous les estampes de la série des Trente-six vues du mont Fuji. (Sumida Hokusai Museum / photo : nippon.com)

En sortant de cette salle, le visiteur jouit d’une vue panoramique sur la Tokyo Skytree, nouvelle tour de Tokyo, haute de 634 mètres, érigée non loin du musée. Il peut ensuite pénétrer dans la première salle de l’exposition temporaire.

Le deuxième étage est réservé aux autres salles d’exposition.

La collection

La collection du musée comporte actuellement 1 500 œuvres. Elle est composée d’un legs du spécialiste de l’histoire de l’art, Narazaki Muneshige (1904-2001), de l’ancienne collection ayant appartenu au collectionneur Peter Morse (1935-1993), ainsi que de nombreuses peintures et estampes acquises par l’arrondissement de Sumida avant même la construction du musée.

Le Musée Hokusai a pour ambition d’accueillir et de présenter, à l’avenir, des collections de musées japonais et étrangers.

L’exposition

Cette toute première exposition propose un choix de 120 œuvres, parmi les plus célèbres de Katsushika Hokusai. L’œuvre phare de cette exposition est un rouleau peint emaki de 7 mètres de long, Vue panoramique de la rivière Sumida. Cet emaki avait appartenu au marchand d’art Hayashi Tadamasa (1853-1906), ami et conseiller des japonisants, en particulier d’Edmond de Goncourt qu’il aida pour sa monographie consacrée à Hokusai en 1896(*5). Il figurait dans le catalogue de vente de la Collection Hayashi : objets d’art du Japon et de la Chine, en 1902. On ignorait depuis ce que ce rouleau peint était devenu. Retrouvé l’an dernier en Occident, il a regagné son pays d’origine et fait désormais partie de la collection du musée.

Katsushika Hokusai, Vue panoramique de la rivière Sumida (partie, le pont de Ryôgoku), emaki (Collection du Sumida Hokusai Museum)

Katsushika Hokusai, Vue panoramique de la rivière Sumida (partie, l’intérieur de la maison des courtisanes de Yoshiwara), emaki (Collection du Sumida Hokusai Museum)

La première partie de l’exposition évoque la vie du peintre et présente des portraits de Hokusai par lui-même et par d’autres artistes.

La seconde partie nous replonge dans la vie du quartier de la Sumida à l’époque d’Edo.

Cette exposition inaugurale se devait aussi de présenter, outre des surimono(*6) aux gaufrages et reflets d’or et d’argent d’un grand raffinement, les estampes les plus célèbres de Hokusai, dont celles de la série des Trente-six vues du mont Fuji qui inspirèrent les artistes occidentaux, Monet, Degas, Manet, Van Gogh, etc., dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Portrait de Hokusai signé Keisai Eisen (1791-1848). (Avec l’amabilité du Sumida Hokusai Museum)

Hokusai aurait sûrement été très étonné de constater le rayonnement de son œuvre, lui, l’éternel insatisfait toujours en quête d’absolu. N’alla-t-il pas jusqu’à écrire, dans sa célèbre postface des Cent vues du mont Fuji (1834) :

« À 90 ans, je pense que je serai parvenu à m’approcher de l’essence de l’art. À 100 ans, j’espère avoir atteint le niveau du merveilleux et du divin. Quand j’aurai atteint 110 ans, chaque trait, chaque ligne de mes dessins possédera sa vie propre. Mon vœu serait que ceux qui me survivront constatent la véracité de ce que j’ai écrit. »

Signé Manji, le vieux fou de dessin.

Son souhait ne se réalisa pas, il quitta ce monde à près de 89 ans, mais nous laissa en héritage une œuvre colossale, source d’inspiration pour les artistes du monde entier.

Il méritait bien qu’un musée lui fût consacré à Tokyo. Nul doute que le Sumida Hokusai Museum réjouira les visiteurs de tous âges et de toutes provenances.

Shôjin Ryôri : initiation à la cuisine monastique des temples Zen

Le Monde.fr : Les moines de Koyasan proposent une cuisine végétarienne qui met en valeur les saveurs des produits de saison.

Le monastère de Koyasan, sur la péninsule de Kii.

 

Les chemins escarpés qui mènent aux lieux saints du mont Koya sont moins fréquentés que le petit train à crémaillère emprunté par les touristes. Ici, sur la péninsule de Kii, au sud d’Osaka, bien loin de l’agitation citadine, commence un autre Japon. Un Japon conduisant aux sommets de la félicité bouddhique et à un art culinaire incomparable.

Niché sur un plateau situé à 900 m d’altitude, dans une forêt de cyprès, de pins, de cryptomerias et de cèdres gigantesques, ce haut lieu spirituel attire chaque année des milliers de groupes de de visiteurs. Depuis que le moine Kûkai (774-835), ayant le titre posthume de Kôbo-Daishi, édifia un ermitage, le site est devenu un lieu de pèlerinage interdit aux femmes jusqu’en 1872, et maintenant inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.

Comme le narrait l’écrivain et journaliste Nicole-Lise Bernheim dans ses Saisons japonaises : “Le Kobo-Daishi reçoit une offrande de nourriture deux fois par jour — petit-déjeuner à 6 h 30 et déjeuner à 10 h 30. On lui sert une préparation végétarienne à base de riz, de bouillon au miso, de nouilles udon ou soba, de tofu, de fruits — ingrédients fournis par des fidèles. Les mets sont contenus dans un coffret en bois clair soigneusement fermé, gigantesque bento.” Au Moyen Age, les temples abritèrent jusqu’à près de cent mille religieux. Figure emblématique de l’histoire du Japon, le fondateur de Koyasan incarne la voie Shingon, école ésotérique bouddhique.

Proche des pratiques himalayennes et mongoles du Véhicule du Diamant (Vajrayana), cette école s’attache aux rituels. Avec l’aide d’un maître, cette “voie directe” permet d’atteindre l’état de Bouddha en une vie ! Dans le secret des montagnes, ici comme dans d’autres monastères ou auberges jouxtant les temples, le dîner et le petit-déjeuner révèlent aux hôtes les subtiles préparations du shôjin ryôri, une cuisine végétarienne introduite au Japon au XIIIe siècle par des religieux des différentes écoles zen, initiés en Chine. Un enseignement qui met en valeur les saveurs naturelles et les produits de saison.

Petite précision d’importance sur ce point, Koyasan est de tradition shingon et non zen, même si les religieux bouddhistes, tous courants confondus, partagent la même approche des fourneaux. Au fil du temps, cette frugale collation, qui suit le précepte de ne tuer aucun animal, s’est inscrite au rang de gastronomie.

Traités avec un grand égard, les végétaux composent une suite de plats qui met à l’honneur herbes, fleurs, feuilles, graines, pousses et plantes sauvages des montagnes, racines et champignons, légumes de saison grillés, bouillis ou frits en tempura, algues, soupe de miso et tofu accompagné du riz quotidien. En outre, les disciples de l’Eveillé de tradition zen ont une aversion pour le gaspillage. Rien ne doit se perdre. L’igname remplace l’oeuf pour jouer le rôle de liant dans l’élaboration de la pâte à frire pour les tempura. De la famille des liliacées, l’ail et l’oignon sont bannis, car ils pourraient échauffer les mangeurs.

Bon nombre de ces plats sont sortis des temples et monastères pour s’inviter dans la cuisine familiale et les restaurants en ville. Le shôjin ryôri améliore “la voie du coeur” car, selon la tradition monastique, il apporte le réconfort nécessaire à la pratique. Shôjin est un mot du vocabulaire bouddhique signifiant “s’éloigner des distractions, purifier son corps”. De nos jours, le terme shôjin évoque une cuisine s’abstenant d’incorporer tout produit carné.

Le moine zen Dôgen (1200-1253) rappelle dans ses Instructions au cuisinier zen que “l’essentiel dans l’art de cuisiner est d’avoir une attitude d’esprit profondément sincère et respectueuse envers les produits et de les traiter sans juger de leur apparence, fût-elle fruste ou raffinée”. Au fil du temps, ces produits naturels, préparés avec soin, ont atteint une place majeure, tant esthétique que diététique, dans l’imaginaire des Japonais.

Sur la centaine de monastères actuellement recensés à Koyasan, la moitié dispose de chambres d’hôtes. Ces temples-auberges (shukubô) ouvrent leurs portes aux voyageurs. Après une bonne nuit et avant le petit-déjeuner, les plus valeureux assistent aux cérémonies matinales, annoncées par un coup de gong. Des offrandes sont déposées devant l’autel, le maître de cérémonie psalmodie dans la pénombre des sutras (livres).

Avant de remettre les pieds sur le tatami et de se délecter d’une bonne chère sans chair, une promenade s’impose sur les chemins de la nécropole Okuno-in, délimités par des lanternes de pierre. Plus de trois cent mille tombeaux disséminés dans une auguste nature rappellent que l’existence n’est pas éternelle. A l’ombre des arbres, témoins des siècles passés, les mousses et les lichens s’approprient les pierres tombales des grandes lignées aristocratiques et guerrières, ainsi que celles des anonymes. Symbole d’une pureté silencieuse, les lits de mousse prolifèrent.

La nécropole Okuno-In.

 

Le temple apparaît enfin. Près de l’édifice, des pèlerins reconnaissables par leur vêtement blanc prient sur la tombe du maître Kûkai. De retour dans la bourgade après ce cheminement spirituel, les boutiques de la rue principale, vendant souvenirs, babioles, objets de culte, fleurs et nourriture, étalent sans retenue la trivialité du monde. Les marchands du temple prospèrent. Mais tout n’est-il pas qu’illusion ?

Jean-Luc Toula-Breysse